dimanche 4 novembre 2007

MESSAGE 046 / EN CUL-DE-LAMPE

J'ai longtemps peint en faisant abstraction de tout. Des années, des années, sans discontinuer, j'ai peint comme l'eau sortant de la source. Ca sortait, ça tombait, sans que je sache d'où, pourquoi, comment. Je dis tomber et j'ai conservé cette expression, notamment les jours de grande production, quand il m'arrivait de peindre cinq, six tableaux, parfois plus encore. Je faisais tomber - comme tomber du ciel - de la peinture.
Les quinze premières années, c'est seulement l'émerveillement, la surprise, la perplexité qui m'incitaient à mettre des mots sur le travail. Ca autant que ce besoin.
Comme si les peintures allaient, comme l'eau, suivre leur cours et m'échapper pour aller se jeter dans quelque delta lointain. Le Gange.
Ma peinture a toujours été première, la pensée, la réflexion sur elle venaient s'y greffer ensuite et bien distinctement. C'est une peinture automatique, comme on l'a dit de l'écriture automatique.
Des pistes marquent, jalonnent des évolutions, des courants prépondérants en tracent la progression, le cours. Pour chacun, encore, des métaphores liquides me viennent à l'esprit pour en parler.
Toujours le courant de production était fort, le débit abondant, rapide, tourbillonnant, tumultueux. Avant de s'épandre largement.
A la fin des années quatre-vingt ma peinture s'est scindée en deux bras distincts. L'un toujours abondant, agité, fort, sombre, trouble, troublant, inquiétant. L'autre, plus varié, calme, apaisant.
Le premier courant, j'ai eu un mal fou à l'aider à vivre, l'aider à poursuivre son cours sans disparaître. Je lui ai donné, laissé, sacrifié ma santé, ma sécurité, j'ai renoncé pour lui à toute tranquillité pour mes vieux jours. Je l'ai soutenu au péril de ma réputation, de toute position sociale.
Avec le second courant, le second bras, j'aurais pu mener une carrière, une existence normale. A condition d'épouser une femme qui aurait veillé au grain. J'aurais pu faire vivre bourgeoisement une famille, laisser un nom, une trace, peut-être, dans un courant contemporain quelconque, un peu médiatique, un peu artistique.
Mais comme je n'ai jamais su, seul, mener deux choses de front, je n'ai fait que peindre et décimer.
Tout cela, tous comptes faits, est très étroitement lié à mon environnement familial initial et à mes premières expériences professionnelles et existentielles.
Tout de suite, quand je l'ai pratiquée, la peinture a été ma compagne, ma conjointe dans la découverte, souvent dans la déconvenue, de me découvrir, de découvrir les autres, le monde, la vie. De les appréhender d'une façon moins conventionnelle, moins aveugle, soumise, plus rebelle que quelqu'un de bien dressé.
Jamais je n'ai supporté bien longtemps d'avoir une selle sur le dos. J'ai vécu comme un cheval sauvage, ni trop près, ni trop loin de mes congénères, sans cesse à la recherche de nouveaux herbages.
J'ai exercé ma carrière professionnelle dans les pur-sang jusqu'à trente cinq ans. Vécu comme eux depuis. Aujourd'hui, je ne cours plus, mais je me rends à la piste encore tous les matins. Deux canters quotidiens, et encore quelques canters sur le gazon.
Je ne sais pas pourquoi je raconte tout ça, comme ça, ici. L'eau coule toujours.

Balthazar.


Tiens, je trouve très bien ce dessin en cul-de-lampe.

5 commentaires:

Anonyme a dit…

Elle fait du taï chi, la fille sur le dessin ?
Sinon, je comprends - je ne peux rien dire de plus, c'est déjà beaucoup.
Je pense que tu connais mon prénom.
Un jour, sans doute, je t'écrirai.
Anonyhihimement,
hi3

Anonyme a dit…

Veuillez en outre m'excuser, je vous prie, de ce tutoiement spontané, conséquence probable d'un état de veille partiel (il me faut un certain temps avant d'être complètement réveillée, surtout en hiver).
Frihihileusement,
hi3

LE MAMI a dit…

Oui, exactement. Sur le toit d'une maison mauritanienne à Fassala, en 1994. La fille, comme tu dis, s'appelle Marie. Elle faisait vraiment bien le tai chi. Elle était un peu maîtresse d'école, mais bon.... Elle m'a planté par indépendance, j'ai cru comprendre, et beaucoup d'autres raisons, toutes excellentes et justifiées vraisemblablement.
Mais si je connais ton prénom, là, tu me la coupes.. T'es qui toi? Enlève ce masque et prends la plume.
A bientôt.
Balthazar

Anonyme a dit…

J'adore ton beau poème, pour la forme et pour le fond.

J'avoue aussi que j'aime beaucoup cette blonde à la longue natte qui fait un coup de pied comme un footballeur américain ! Goal !

Peut-être que les visages que tu peins me disent trop, que je ne veux pas voir tout dans leurs yeux, je préfère que cela soit le dos qui me communique, je ne sais pas.

En tout cas, bravo, Balthazar, pour cette merveilleuse note.

LE MAMI a dit…

joye,
tu es adorable, mais tu n'en fais pas un peu trop?
La longue natte est celle de marie. Elle est en train de faire du tai chi, appris avec le chinois au cours d'un long séjour à taipeh. La scène se passe sur un toit de maison mauritanienne.
C'est beaucoup moins viril que le dessin le laisse penser. Le dessin est donc mauvais, à part les couleurs. Mes autres portraits ont dû t'horrifier, des orbites sans les yeux, c'est pire qu'un scalpe?
En fait, je supprimai les yeux comme les marques vestimentaires, l'environnement pour soustraire mes personnages à une identification sociale possible.
Bon, je ferai peut-être mieux la prochaine fois.
Balthazar